Voici un extrait d’une conversation sur les compulsions alimentaire.
Bonne lecture 🙂
Laetitia :
Je voulais partager une réflexion en tant que naturopathe, car l’alimentation est vraiment au cœur de nos consultations. En fait, c’est un motif de consultation très courant, environ trois quarts des personnes qui viennent me voir sont concernées par leur alimentation. Parfois, j’ai des patients qui font face à ce qu’on appelle les compulsions alimentaires, une expérience que je ne connais pas personnellement.
Pourrais-tu m’en dire plus sur ce qui se passe à l’intérieur de soi lorsqu’on est pris par une compulsion alimentaire ?
Alicia :
En effet, une compulsion est quelque chose qui nous dépasse un peu. C’est comme si quelque chose à l’intérieur de nous était titillé, réveillant des émotions que nous préférons éviter, et l’alimentation devient alors une forme de réconfort pour échapper à cet état désagréable.
Pour moi, cela remonte à mon enfance, où j’ai été souvent pointée du doigt pour ma maigreur. En grandissant, j’ai ressenti une pression sociale pour manger plus. Mais au fil du temps, cela a créé un déséquilibre dans ma relation avec la nourriture.
À partir de l’adolescence, étant plutôt introvertie et un peu timide de nature, la sociabilisation était souvent difficile pour moi. Cependant, j’avais aussi cette facette joyeuse de bon vivant. C’est ainsi que j’ai commencé à manger abondamment, attirée par le retour de sympathie que cela suscitait. Pour moi, la nourriture est devenue un réconfort social, façonnant en quelque sorte un personnage qui me sécurisait.
Voilà un peu comment j’ai vécu cette dynamique particulière avec la nourriture. C’était à la fois un réconfort et un piège dans lequel il était difficile de s’extraire.
Laetitia :
Oui, il y a effectivement souvent un raccourci entre les troubles alimentaires et le poids corporel, mais ce n’est pas toujours le cas. Je rencontre beaucoup de femmes qui se sentent dévalorisées dans leurs troubles alimentaires simplement parce qu’elles ne sont pas en surpoids.
Alicia :
Exactement, c’est comme si le poids était le seul critère de validation de nos souffrances alimentaires. Cela rend difficile pour les personnes plutôt minces de se faire entendre et de recevoir un soutien adéquat.
Personnellement, c’était quelque chose dont je n’osais pas beaucoup parler. À chaque fois que je me retrouvais dans des moments de détresse, je me disais : « mais qu’est-ce qui m’arrive ? » Je ne parvenais pas encore à comprendre ce qui se passait vraiment. Je me blâmais, me disant “je suis nulle, je mange n’importe comment, etc. »
Il m’est arrivé d’en parler à des amis, de leur dire que j’avais des compulsions alimentaires et que cela me rendait malheureuse, que je n’arrivais pas à me contrôler, mais souvent, le message ne passait pas. En gros, ce n’était même pas la compulsion en elle-même qui était importante, mais plutôt le mal-être qu’elle engendrait. Et systématiquement, la réponse était toujours la même : « Mais tu n’es pas grosse, donc tout va bien. » Personne ne semblait prendre mes souffrances au sérieux.
Laetitia :
Donc, quels conseils donnerais-tu à ces personnes, qu’elles aient ou non des problèmes de poids, pour faire face à leurs compulsions alimentaires ?
Alicia :
Résumer tout ça n’est pas facile, mais voici ce que j’ai mis en place pour m’aider à sortir de cette spirale. D’abord, j’ai réalisé qu’il fallait que je lâche prise sur le contrôle. Cette obsession de contrôler mon alimentation ne faisait qu’aggraver les choses. Même quand je me débattais, ça ne faisait que me plonger davantage dans cette lutte incessante. J’ai compris que je devais d’abord comprendre mes compulsions avant de pouvoir les changer. En thérapie, on m’a appris à ne pas lutter contre les crises, mais à les observer.
Prendre juste une minute de pause pour ressentir pleinement cette sensation d’urgence dans le corps, sans jugement ni résistance, peut être très efficace. Il s’agit de se concentrer sur cette sensation, comme si on zoomait dessus pour mieux comprendre ce qui nous dérange. Répéter ce processus permet de rendre cette sensation familière et moins effrayante, ce qui donne progressivement le pouvoir de la gérer. Même si ces réactions peuvent rester présentes, en apprenant à les maîtriser, on gagne en autonomie. Il est important de reconnaître que ces compulsions peuvent persister, mais on apprend à vivre avec cette fragilité, à la gérer plutôt que de chercher à s’en débarrasser totalement.
Paradoxalement, ces compulsions peuvent même devenir des alliées, nous signalant quand quelque chose ne va pas et nous permettant de prendre du recul. En coupant les liens émotionnels et sociaux associés à l’alimentation, on retrouve une plus grande liberté et une meilleure relation avec la nourriture.
Enfin, il est crucial de reconnaître que le retour à l’équilibre n’est pas linéaire et demande du temps et de la patience.
Laetitia :
Est-ce qu’il y a un schéma émotionnel récurrent qui déclenche tes compulsions alimentaires ?
Alicia :
Oui, certaines situations ou émotions reviennent régulièrement et peuvent déclencher une crise. Pour moi, par exemple, la solitude ou le sentiment d’inconfort étaient souvent des déclencheurs. Apprendre à reconnaître ces signaux m’a permis de mieux gérer mes compulsions.
Laetitia :
Donc, en fin de compte, le problème alimentaire est souvent un symptôme d’un déséquilibre émotionnel plus profond, et le travail du naturopathe est d’aider les gens à identifier et à traiter ces causes sous-jacentes.
Alicia :
Exactement, la nourriture n’est souvent qu’une solution temporaire à des problèmes émotionnels plus complexes. En reconnaissant et en traitant ces problèmes à la source, on peut véritablement transformer sa relation avec la nourriture.